Journées Européennes du Patrimoine : 20 idées hors des sentiers battus
Journées Européennes du Patrimoine 2020

Culture & Patrimoine | Le 17 janvier 2023

Journées Européennes du Patrimoine : 20 idées hors des sentiers battus

Je vous offre une courte rasade de chiffres en entrée. Les Journées Européennes du Patrimoine (JEP), c’est plus de 12 millions de visiteurs (chiffres 2019), 17 000 lieux publics et privés ouverts, 25 000 animations, 50 pays organisateurs de cette opération née en France en 1984. À l’origine, les JEP étaient nommées « Journées portes ouvertes dans les Monuments historiques ». Un dernier chiffre pour la route… La France abrite 43 600 « immeubles protégés au titre des Monuments historiques ». Mais vous verrez dans ma sélection, parmi les 17 000 lieux ouverts pendant les JEP, que tous ne sont pas des Monuments historiques… Mais tous font honneur à la réputation patrimoniale de la France. Voici une idée par région. Ce sont pour la plupart des lieux exceptionnellement ouverts pour cette 37e édition des JEP, samedi 19 et dimanche 20 septembre (dans certaines villes, la fête commence vendredi).

À Strasbourg, sur un air de Marseillaise. La Chambre de Commerce et d’Industrie de Nancy, joyau de l’Art nouveau.

Dans la liste des lieux JEP, vous trouvez de nombreux « lieux de pouvoir ». Ils font d’ailleurs partie des plus visités. L’an dernier, le Sénat est arrivé en 3e position (26 000 visiteurs), devant l’Hôtel de Ville de Paris (20 000), le Palais de l’Élysée (20 000) et l’Assemblée Nationale (18 000). Et vous vous demandez qui est le roi du podium. C’est aussi un lieu de pouvoir puisqu’il est le siège du Gouverneur militaire de Paris, mais il est surtout un des plus beaux bâtiments de la capitale, « une cité dans la cité », une immensité historique, des musées, dont celui de l’Armée, l’église du dôme qui abrite le tombeau de Napoléon Ier… Vous l’avez reconnu, c’est l’Hôtel National des Invalides, n°1 avec 30 000 visiteurs en deux jours. Ces lieux de pouvoir, rarement ouverts hors JEP, vous pouvez également les découvrir dans les régions. À Strasbourg, par exemple, allez voir le prestigieux Hôtel de Ville, de style Régence, ancienne résidence des Hanau-Lichtenberg. À quelques pas de la mairie, faites un saut au numéro 17 de la rue des charpentiers. C’est à cet endroit précis, le 25 avril 1792, dans la maison du maire de Strasbourg, que fut chantée pour la première fois La Marseillaise, par son auteur Joseph Rouget de Lisle. Elle ne fut pas immédiatement hymne national. Certaines versions indiquent que c’est le maire lui-même, le baron de Dietrich, qui l’entonna le premier. De l’autre côté de l’Hôtel de Ville, près de l’opéra, vous découvrirez un monument qui célèbre la naissance strasbourgeoise de la Marseillaise. En Lorraine voisine, je vous conseille le siège de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Meurthe-et-Moselle, à Nancy. Les amateurs de l’École de Nancy vont aimer. Plusieurs grands noms de cette École « fer de lance de l’Art nouveau en France » ont participé à l’élaboration de ce bâtiment, Antonin Daum et Jacques Grüber pour les vitraux, Louis Majorelle pour les ferronneries et notamment la splendide marquise d’entrée…

Dans le Jura, le château d’un fondateur du syndicalisme agricole. La chambre de Napoléon en Bourgogne.

En Franche Comté, optons pour le Jura et le Château de Vaux-sur-Poligny (et son parc). Ce château est bien jeune (fin XIXe siècle) dans la longue histoire du lieu. Il y eut d’abord, et notamment, un prieuré rattaché au XIe siècle à l’ordre de Cluny (l’ensemble de Vaux est aujourd’hui classé « site clunisien »). Ce site mêle remarquablement l’évocation de notre histoire (y compris celle de la Révolution Française qui fit ici quelques dégâts) et la beauté naturelle de l’environnement, au sein d’une reculée : « Le château est situé dans un parc de verdure avec une grande cascade de 15 mètres, petites cascades, pont de rocaille, rocailles, grottes… ». C’est un morceau de l’histoire du « catholicisme social » et du syndicalisme agricole que vous croiserez ici. Car Louis Milcent, un des fondateurs français de ces deux mouvements, a vécu dans ce château. Changement de décor en Bourgogne où je vous suggère un détour par Auxonne. Allons visiter la chambre de Napoléon Ier… qui n’était encore premier de rien puisqu’il avait alors rang de Lieutenant en Second. Il est en garnison à Auxonne, en Côte d’Or, de 1788 à 1791. Intégré au régiment de la Fère, « plus vieux régiment de l’armée de terre française », il y apprend le métier de militaire. Il se distingue dans plusieurs matières dont les mathématiques. Le jeune Napoléon Bonaparte – il n’a que 20 ans – disait de son professeur de mathématiques qu’il était « un homme précieux qui contribuait autant que les meilleurs officiers à la supériorité de l’artillerie française ». La chambre qu’il occupait, y compris pendant ses loisirs où il lisait et travaillait, est donc visitable pendant les JEP. Cette même chambre fut occupée par Louis Bonaparte, roi de Hollande, frère de Napoléon Ier et père de Napoléon III.

L’architecture novatrice d’une école champenoise. Les coulisses des serres municipales de Colomiers en Midi-Pyrénées. La fabrique du whisky picard.

Le patrimoine bâti français, ce n’est pas que de la vieille pierre, mousse, rouille et histoires millénaires. Profitez des JEP pour entrer dans des espaces de recherche et d’enseignement supérieur ultra-modernes et la plupart du temps fermés au grand public. À Rosières-près-Troyes, en Champagne, visitez l’EPF (ex Ecole Polytechnique Féminine) qui forme des ingénieurs depuis 1925, dont un tiers de femmes. On vous montrera les laboratoires de recherche dont les axes sont l’énergie, l’environnement, la mécanique et les matériaux. « L’architecture novatrice » du bâtiment permet de valoriser les énergies renouvelables. Vous pourrez également assister à une conférence sur « l’architecture durable ». Rappelons que ces 37e JEP sont placés sous cette thématique : « Patrimoine et éducation : apprendre pour la vie ! ». Dans une même veine, vous pouvez pénétrer les coulisses du Centre horticole de Colomiers en région Midi-Pyrénées. Ce sont en fait les serres municipales, « anti-chambre de la gestion des espaces verts de la ville de Colomiers ». Le génie des JEP, c’est aussi cela : sur des milliers de sites, il nous est proposé d’entrer dans les arrière-boutiques et arrière-cuisines, là où se fabriquent à l’abri des regards des savoir-faire, des expressions, des machines, des concepts… là où se construit notre future histoire. Dans cette grande histoire française, nous n’oublions pas – évidemment ! – ce qui fait sourire notre goût du bon. Faites donc un crochet par Beaucourt-en-Santerre, en Picardie, à la distillerie d’Hautefeuille. Elle est installée « dans une propriété familiale vieille de dix générations. On y transforme l’orge cultivée sur ces terres en whiskies d’exception. Les dry gins donnent l’occasion de découvrir les richesses aromatiques de la flore de Picardie : baies de genévriers, baies d’argousiers et fleurs de sureau picardes ».

La chapelle-musée de Béthune, dans le Pas-de-Calais, et ses « Hautes curiosités ». La secrète salle de la source de l’abbaye de Longues-sur-Mer, en Normandie. L’art dans les bunkers à Brest.

La chapelle Saint-Pry n’est plus consacrée, elle est devenue un lieu d’expositions rattaché au Musée d’Ethnologie Régionale. Elle porte une belle histoire, dont les prémices se baladent au commencement du XIXe siècle. Détruite au cours de la Première Guerre mondiale, reconstruite, transformée, elle fut liée à l’hôpital voisin (qui n’existe plus), le premier étage de l’église communiquait directement avec l’établissement hospitalier. Elle est l’ultime vestige de cet ensemble. Les JEP 2020 sont l’occasion pour ce site d’inaugurer une exposition temporaire et inédite, « Hautes curiosités » : « Présentée pour la première fois au public, elle vous emportera vers un merveilleux voyage artistique en Asie, à travers 4000 ans d’histoire ». Sous le toit de Saint-Pry se dévoile « un ensemble de témoignages d’une grande beauté – céramiques, étoffes, armes, instruments de musiques, masques… – réalisés il y a bien longtemps par d’ingénieux et habiles artisans, artistes oubliés et souvent anonymes… des œuvres surprenantes, qui interrogent ». En Normandie, je vous invite à rallier Longues-sur-Mer. Bien sûr, vous pouvez voir la célèbre batterie allemande et ses quatre bunkers, qui constituaient un objectif prioritaire dans ce qu’il fallait mettre hors d’état de nuire lors du Débarquement allié de 1944. À Longues, voyez aussi l’abbaye, dont les JEP permettent l’ouverture d’espaces généralement inaccessibles au grand public. C’est le cas de la salle de la source, « voûtée et abritant le trésor de l’abbaye, un point d’eau alimenté par une source qui date du Moyen Âge ». Cette abbaye, en partie détruite, fondée au XIIe siècle, est bordée de charmants jardins. L’ensemble est une propriété privée. La famille qui la possède travaille en relation avec les habitants pour médiatiser ce bijou de l’art gothique dont « le visiteur ne soupçonne ni l’importance ni la richesse ». Retour aux bunkers. Comme en Normandie, les côtes bretonnes sont parsemées de ces casemates bétonnées formant le Mur de l’Atlantique. Celui-ci s’allonge de la frontière franco-espagnole au nord de la Norvège. « C’est la 2e construction la plus titanesque jamais réalisée par l’homme, après la grande muraille de Chine ». En Bretagne, on dénombre 3000 bunkers allemands, dont celui situé dans le parc de Kervallon, à Brest, comportant « une partie réaménagée comme à l’origine ». Au cours de ces JEP 2020, vous pourrez vous attarder sur deux expositions photos : Brest pendant la 2nde Guerre mondiale et l’art dans les bunkers (fresques, dessins, textes…).

Dans les vignes de l’écrivain Julien Gracq, dans les Pays de la Loire. En Aquitaine, le château de Buzet en effervescence. La cave souterraine de Banyuls, en Languedoc-Roussillon.

Julien Gracq est un des grands écrivains français, connu entre autres pour son refus de recevoir le prix Goncourt (quand des milliers d’écrivains en rêvent toutes les nuits!). La demeure familiale est en bord de Loire, dans le village de Saint-Florent-le-Vieil, en Maine-et-Loire. Gracq a légué un terrain à sa commune natale, sur lequel aujourd’hui repoussent les vignes. Pour Saint-Florent et l’association gestionnaire de la bonne idée, les JEP 2020 sont une rampe de lancement de l’opération-souscription : « Un pied de vigne en Anjou ». Vous pouvez en acheter un, il vous coûtera 10 euros (l’opération se déroule le samedi 19). Ceci ne vous apportera pas de ressources supplémentaires mais le droit de dire – ce qui fait très classe – « je bois le vin de ma vigne » et de voir inscrit « sur de petites ardoises accrochées dans la vigne ou sur les vieux murs » votre nom ou celui de vos enfants ou petits-enfants. L’objectif de l’association est de planter 2500 pieds de vigne. Restons dans les vignobles – autre grand patrimoine de France – et allons en Aquitaine, à Buzet-sur-Baïse dans le Lot-et-Garonne. La visite de son château, dont l’origine remonte au Xe siècle, est particulière et exceptionnelle : « Le domaine, abandonné depuis de nombreuses années, a été acheté fin 2018 par la coopérative des vignerons de Buzet ». Il est en cours de réhabilitation. L’objectif est de médiatiser le site « via des projets culturels, pédagogiques et scientifiques liés à l’agroécologie viticole ». Autre terre de vin qui s’ouvre aux JEP : Banyuls-sur-Mer, l’une des quatre communes (avec Collioure, Port-Vendres et Cerbère) constituant la zone AOP – Appellation d’Origine Protégée – Banuyls, Banuyls Grand Cru et Collioure, « vins doux et naturels, complexes et d’une grande richesse aromatique ». Samedi, vous pourrez visiter la cave souterraine du domaine Terre des Templiers. Le site est en effet « une ancienne commanderie de moines Templiers du XIIIe siècle, un lieu exceptionnel au sein duquel vieillissent les plus vieilles cuvées ».

Et puis l’imprimerie-charcuterie de Saint-Jean-d’Ollières, le moulin de Saint-Dier-d’Auvergne, la grande mosquée arabo-andalouse de Limoges, l’habitat troglodyte de Loir-et-Cher, le jardin d’un philosophe en Poitou-Charente…

Après cette rafale de caves et vignobles, je pensais à une pause dans le solide, genre charcuterie. J’en ai trouvé une belle en Auvergne… et puis, fausse route, c’est une ancienne boucherie-charcuterie. Elle est devenue imprimerie artisanale et associative, logiquement renommée Imprimerie-Charcuterie : « S’y côtoient gravure et typographie, composition de textes à la main, avec des caractères de plomb ou de bois. S’y fabriquent des images, petites ou grandes mais toujours épaisses de 23,566 mm… Des objets imprimés s’y multiplient sur des presses manuelles ou automatiques ». C’est à Saint-Jean-d’Ollières, dans le Puy-de-Dôme. Plus qu’une boutique, c’est un des milliers d’exemples d’un vaste patrimoine immatériel, fait de savoir-faire, à découvrir également pendant ces JEP, à l’occasion d’ateliers, forums, conférences ou rencontres. Saint-Jean-d’Ollières est voisine de Saint-Dier d’Auvergne dont je vous conseille également la visite : c’est un village bourré de caractère, riche de deux châteaux, une église romane « de style auvergnat-limagnais, avec des influences du Velay voisin » et un moulin, construit en 1850 et toujours en activité (il n’est pas annoncé dans le programme des JEP). Autre genre, en Limousin, vous pouvez partir à la rencontre de l’architecture « arabo-andalouse » de la grande mosquée de Limoges. S’il fait chaud, soyez centriste ou central, bref prenez la direction de la région Centre, du Loir-et-Cher particulièrement où vous dégotez du bel habitat troglodyte (où il fait frais). Exemple à Lavardin avec ses caves et habitations atypiques, assaisonnées ce week-end d’animations musicales et de dégustations de fouées traditionnelles (les petites boules de pain cuites au four avec rillettes, grillons, mogettes et champignons). Notez-le aussi, de nombreuses maisons de personnages illustres (labellisées ou non « Maison des Illustres ») sont ouvertes pendant les JEP. C’est toujours émouvant de flâner là où vivaient, travaillaient les grands noms de la littérature, du cinéma ou de la politique. À Saint-Martin-la-Pallu, dans la Vienne, venez balader votre esprit dans le parc et près de la maison de Michel Foucault, l’un des plus grands penseurs du XXe siècle. Ma suggestion pour la région Provence-Alpes-Côtes d’Azur nous conduit maintenant à Draguigan, dans le Var, au château des Salles. Ce domaine provençal datant du XVIe siècle comprend « chapelle romane, fermes anciennes, vigne AOC, verger de fruits, poulaillers, ruchers, bassins de truites ». Le propriétaire vous accueille personnellement autour d’un café puis vous invite à une cueillette dans son potager bio (prix visite et cueillette : 15€). Au nord de la région Rhône-Alpes, dernière idée, faites une halte à Briançon, dans les Hautes-Alpes. Profitez de l’ouverture exceptionnelle du chantier de la Communication Y (sur inscriptions). On appelle ainsi cette barrière de fortifications « parce qu’elle était légendée Y sur les plans de l’époque ». Elle est érigée pendant près de quinze ans, à partir de 1721, et constitue un ensemble de fortifications unique en France, avec de multiples fonctions, de système défensif mais aussi de mode de circulation par des galeries et de stockage de réserve d’eau. Si vous parvenez à vous glisser dans un groupe (bravo!), vous bénéficiez d’une double visite : la structure et le chantier de travaux en cours.

Crédits photos : V. Huguenot, Cap France, Côte d’Or Tourisme, Wikimédia / PRA, Wikimédia / Velvet, C. Helsly / EPF Troyes, France 3, J. Dumec Studio, Banuyls-sur-Mer, Office de tourisme de Limoges, Vienne Tourisme, E. Hue.

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