Vin de Bordeaux : l’aristocrate devenu démocrate
© Carabo Spain / Pixabay

Gastronomie & Vins | Le 28 août 2023

Vin de Bordeaux : l’aristocrate devenu démocrate

Chaque seconde, 18 bouteilles de vin de Bordeaux sont vendues dans le monde, fierté de 5660 vignerons récoltant sur 111 000 hectares de vignes. Le vignoble bordelais représente un quart de la superficie des vins AOC français et 660 millions de bouteilles annuelles. Bordeaux demeure donc un des plus puissants véhicules de l’image des savoir-vivre et savoir-faire français. Ses vins s’exportent très tôt au-delà du rivage girondin, dès le XIIe siècle vers l’Angleterre, et leur réputation assure alors à la ville de Bordeaux prospérité et éclat. Toujours synonyme de culture française, mais aussi d’aristocratie vinicole, le Bordeaux a évolué plus qu’on ne le pense au fil des siècles. Il entre, sur les XXe et XXIe siècles, dans une ère plus démocratique.

Parmi les révolutions, petites ou grandes, l’incontournable Cité du Vin ou l’École du vin de Bordeaux, « une école pionnière née il y a trente ans pour une découverte décomplexée, accessible à tous amateurs, néophytes ou initiés, consommateurs d’aujourd’hui et de demain ». Comme dans tous les vignobles français, son économie a intégré l’enjeu du tourisme, multipliant les espaces de balade, découverte, rencontre et dégustation.

Le Château du Taillan
Le château du Taillan © Teddy Verneuil @lezbroz

Le saviez-vous ? Le vignoble de Bordeaux doit beaucoup à la maman de Richard Cœur de Lion

L’aventure du vignoble bordelais démarre avec les Bituriges Vivisques, un peuple celte qui décide de planter ses vignes avec un cépage résistant au froid, le Biturica (rien à voir avec la biture, dont l’origine du mot est à chercher du côté de la bitte d’amarrage!). On est au Ier siècle. C’est loin, on peut donc admettre des versions historiques floues et contradictoires. Car d’autres récits placent le début de ce vignoble du côté des notables de la ville qui en avaient assez de payer cher un vin importé de Narbonne ou d’Italie. Ils ouvrent donc leurs propres clos et c’est une des plus grandes sagas mondiales du vin qui s’entame alors. Au XIIe siècle, une histoire de mariage booste la réputation des vins de Bordeaux. La duchesse d’Aquitaine, Aliénor, épouse le futur roi d’Angleterre (Aliénor d’Aquitaine est surtout restée dans les mémoires pour être la maman de Richard Cœur de Lion et de Jean sans Terre). Un immense commerce de vins se développe avec l’Angleterre, épisode que rappelle ainsi l’Académie des vins de Bordeaux : « Les Anglais exportent des aliments, textiles et métaux, et importent des vins de Bordeaux. Ils le nomment Claret en raison de sa couleur claire. L’importance de la flotte anglaise et la facilité d’accès au port de Bordeaux par l’estuaire de la Gironde favorisent les expéditions de vins par voie maritime et permettent l’essor du vignoble et du port de Bordeaux. À cette époque, les expéditions se font par tonneaux d’une capacité de 900 litres, soit 4 barriques bordelaises de 225 litres. Le tonneau devient par la suite l’unité de volume internationale pour le jaugeage des navires ». Le vignoble bordelais va considérablement s’étendre au XIIIe siècle, notamment pour répondre à la demande des Anglais, leur roi ayant accordé aux vignerons bordelais des avantages fiscaux. Les Outre-Manchois ne sont pas seuls à venir sonner à la porte girondine, les Hollandais, quelques premiers Américains au XVIIIe siècle, l’Allemagne, la Scandinavie, la Belgique veulent aussi leur part du tonneau. L’efficace ambassadeur bordelais fait rayonner l’idée d’une France délicieuse et délicate.

Des vignerons bordelais engagés pour la préservation des ressources et la sauvegarde des écosystèmes

Malgré les crises (maladies de la vigne, concurrence…), le Bordeaux est resté tout au long de son histoire une valeur sûre, chantant sur le zinc des bistrots, égayant la table à carreaux d’un déjeuner de brasserie, illuminant la longue nappe brodée d’un banquet de notables. Sa fourchette de prix est gargantuesque, du très bon marché à l’inabordable, du Médoc pêché à 3 ou 4 € dans le supermarché du coin au 2e vin le plus cher du monde (source : vin-œnologie.com), un jéroboam du château Mouton-Rothschild 1945, l’un des meilleurs millésimes de l’époque… vendu 260 000 € (le verre coûtant donc la modique somme de 7 200 €). Au total, sur une gamme voguant du populaire au royal, du sec au sucré, du rouge au blanc et un peu au rosé, 38 appellations forment la renommée du vignoble : Côtes de Bourg, Pessac-Léognan, Graves, Sauternes, Saint-Emilion, Pomerol, Margaux, Médoc, Entre-deux-Mers, Pauillac, Saint-Estèphe… tous bâtisseurs d’un patrimoine viti-vinicole français inégalé. Ah, que je n’oublie pas ! Il me faut citer la formule magique, obligatoire et non dénuée de bon sens : « à boire avec modération ». C’est fait. En respectant cette consigne, vous abordez une autre fonction des vins (de Bordeaux et d’ailleurs) et découvrez qu’ils sont bons pour la santé. Rappelons les ordonnances d’Hippocrate, père de la médecine moderne (« le vin est une chose merveilleuse appropriée à l’homme si, en santé comme en maladie, on l’administre avec à-propos et juste mesure »), de Platon qui le conseillait pour « réchauffer l’âme et le corps » ou de Louis Pasteur (« le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons »). Un certain docteur Dougnac faisait même avant guerre le constat que « la longévité des individus est supérieure dans le Bordelais à celle des autres régions de France » (source : dico du vin). C’est aussi la santé de la terre qui préoccupe aujourd’hui les vignerons de France. Dans le Bordelais, la révolution écologique n’est pas tout à fait née de la dernière pluie. Au Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux, on fixe à 25 ans en arrière le début de cet engagement collectif : « Le vignoble bordelais s’est engagé dans une véritable transition écologique prouvée par d’importants progrès sur les différents leviers du développement durable. Si 65% des surfaces sont aujourd’hui certifiées par une démarche environnementale (bio, biodynamie, HVE Haute Valeur Environnementale, Terra Vitis, etc.), l’objectif est d’engager 100% du vignoble. Depuis 25 ans, la filière anticipe et s’adapte collectivement au changement climatique, à l’enjeu de l’eau, aux exigences sociétales et à la réduction des pesticides, pour la préservation des ressources et de la sauvegarde des écosystèmes, indispensables à la pérennité de son activité. Grâce à toutes ces initiatives, Bordeaux est le premier vignoble AOC français à intégrer des mesures agro-environnementales dans ses cahiers des charges ».

La Cité du Vin
La Cité du Vin @ Alban Gilbert

Entre pierre et terre, entre agro et œnotourisme, le vignoble de Bordeaux s’affiche comme une fantastique balade patrimoniale

La double synthèse, de la tradition et de l’innovation, de la culture d’élite et de l’ouverture au plus grand nombre, vous la percevez dans de nombreux domaines. Une ouverture qui se ressent aussi à la Cité du Vin, à Bordeaux, « un lieu de visite pour tous, labellisé Tourisme & Handicap ». À tester entre autres, y compris en famille, les ateliers de dégustation (fermés actuellement pour cause de covid). L’École du vin de Bordeaux, autre belle ressource, vous initie ou vous perfectionne par exemple dans l’art de consommer du vin et de l’associer aux mets : « en 1989, les viticulteurs et négociants de Bordeaux, au sein du Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux, ont souhaité créer une école avec pour ambition de partager ce patrimoine vivant au plus grand nombre. En 30 ans et forte de son succès, l’école s’est développée au-delà de la ville de Bordeaux pour s’ouvrir et s’adapter à tous les publics, tant professionnel qu’amateur. Aujourd’hui, l’école forme chaque année plus de 85 000 personnes dans le monde ». Les vins de Bordeaux vous convient dans une partie d’œnotourisme passionnante, dans une quête de paysages ruraux et rassurants, dans un vaste musée de l’architecture variée. Le modernisme et l’audace architecturale sont représentés par une Cité du Vin hautement symbolique : « un lieu empreint de symboles identitaires : cep noueux de la vigne, vin qui tourne dans le verre, remous de la Garonne ». L’architecture traditionnelle et flamboyante est à tous les coins de rue ou de champ, avec une grosse collection de châteaux. Ils font aussi, pour la plupart, domaines viticoles nantis de chais magnifiques. Boire ou voir, il ne faut pas choisir, faites donc d’un verre deux coups, allez en Bordelais.

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